France Gall : le silence a été mon refuge (Presse ) Ciné Télé Revue

France Gall revient enfin pour son public avec un document télé exceptionnel diffusé le mardi 9 octobre 2001 sur France 3.

Elle revient enfin pour son public avec un document télé exceptionnel diffusé le mardi 9 octobre 2001 sur France 3.

En appuyant sur le bouton du digicode qui porte bien sûr toujours le nom de la famille, celui patronymique de Michel, une phrase m’est subitement revenue en mémoire, comme une petite madeleine proustienne.

C’était il y a presque dix ans.

En me raccompagnant à la porte, dans ce même hall d’un immeuble calme parisien, France m’avait murmuré dans un sourire : « J’ai vraiment l’impression, parfois, de vivre avec le professeur Tournesol ! »

Pendant deux heures, à la veille de la sortie de leur album en duo « Laissez passer les rêves », tandis que Michel s’affairait à la mezzanine dans son capharnaüm de poèmes, de partitions et de post-it, nous venions d’évoquer avec elle l’incroyable richesse de leur collaboration artistique, mais aussi le caractère indestructible d’une osmose unique nourrie autant d’amour que d’une complicité tout à fait magique.

Aujourd’hui, le « Tournesol » a tourné la tête vers d’autres soleils, s’en est allé vers ce « Paradis blanc » où sa fille, Pauline, éternel petit ange de 19 printemps, l’a rejoint.

Pourtant, aussitôt rouverte la porte de l’appartement où France vit avec son fils, Raphaël, leurs souvenirs et leur volonté d’avenir, ce sont la même harmonie, le même esprit de clan, le même art de vivre et d’aimer qu’exhale autour du grand piano noir une déco chatoyante et racée. Cette sensation de pérennité, ce sentiment de legs, cette dimension de challenge face aux affres du destin, bref cette « aptitude à avancer », comme elle le dit elle-même, « autant par le bonheur que par les choses incroyables qu’on nous donne à surmonter », ce sont les évidences du magnifique autoportrait que France Gall a confectionné pendant un an et que France 3 diffusera ce 9 octobre (ndlr : 2001).

Un document télévisuel exceptionnel, truffé d’images inédites, de films d’archives ou personnels, de confidences et de musiques, par lequel l’artiste et la femme renouent avec la création, mais aussi avec la communication.

« N’allez pas parler de grand retour ou de choses comme ça », précise-t-elle d’entrée.

« Ce film, c’est juste un coucou, une manière de donner des nouvelles, une réponse à tous ceux qui osent ou n’osent pas me demander comment ça va et me poser toutes sortes de questions. Après le départ de Pauline, le silence a été mon refuge. Aujourd’hui, ce portrait de moi, d’une incroyable et d’une vraie vocation de chanteuse qu’il ne sert à rien de faire semblant d’ignorer, c’est aussi une façon de bouger. »

Bouger, inventer, devancer les modes … En voyant défiler les images de sa carrière, on réalise à quel point France Gall a bien plus marqué l’époque et nourri le patrimoine qu’elle-même et nous l’imaginions. A quel point, surtout, victime ou décideuse, mais toujours inspirée, elle a été une devancière.

Pendant l’avant-Michel, d’abord, avec cette voix encore adolescente qui irritait certains, mais a fait tant d’émules. Avec cette incursion de rythmes dans une chanson de variété un peu mièvre. Avec cette flamboyante collaboration avec Gainsbourg parachevée par un triomphe en forme de malentendu. « Annie », nous raconte-t-elle, « m’a forgé à vie un côté introverti et une espèce de méfiance. Je l’ai vécu comme une sorte de viol, une trahison des adultes qui, ensuite, m’a valu de passer pour une idiote puis de recevoir, pendant dix ans, des lettres d’obsédés sexuels. »

Survient alors l’extraordinaire rencontre avec l’homme et l’artiste de sa vie. « Je chantais et il pensait tout le reste. Avant lui, malgré le succès, je n’avais jamais été bien dans ma peau de chanteuse. Avec lui, je découvrais fascinée qu’on pouvait même parler de choses graves avec légèreté. » C’est exactement ce que démontre son film. C’est aussi pourquoi elle refuse désormais de s’adonner aux interviews classiques : « Je me suis beaucoup trop lâchée après la mort de Michel, et aujourd’hui, je ne supporte pas de relire mes réponses. Ce n’est pas tant parler qui me déplaît que voir ensuite les choses écrites. Sans musique, sans contexte, sans instantané, les mots alourdissent les choses et blessent ceux qu’ils concernent aussi.

« Que Raphaël découvre mieux ma vie à travers un film, cela m’émeut et me ravit, mais que je parle de lui dans un journal, que j’y évoque des sentiments qui nous appartiennent, n’est pas décent. »

Comment pourtant raconter France sans parler d’amour ? Qu’elle ait choisi pour le faire des chansons et des images relève d’une grande subtilité. « Vous avez vu comme ça transpire notre bonheur ? » souligne-t-elle en nous toisant d’un regard malicieux. « Vous avez vu comme c’est une belle histoire d’amour ? »

Une histoire qui, pour beaucoup, serait devenue insupportable sans Michel et carrément invivable après Pauline. Ajoutons à cela d’angoissants problèmes de santé et la perte de sa meilleure amie, et tout le monde se demande quelle force peut animer ce petit bout de femme dont chaque frémissement est dicté par le cœur, dont chaque fibre est maternelle. A ces questions aussi, le film apporte des réponses manifestes bien qu’indicibles. D’abord, il y a la musique, viscéralement greffée en elle : « Après la mort de Michel, c’est elle qui m’a aidée à me soigner ! » « Elle » et ceux qui l’aiment. En retournant en studio et sur scène à Bercy, escortée d’une bande de jeunes rappeurs, France exprime toute son inventivité et introduit la gaieté de ces gamins dans sa maison, dans sa vie et, surtout, dans celle de ses enfants. Elle retrouve aussi ce public qui l’aime depuis toujours et qu’elle découvre différemment : « J’ai compris la forme qu’il avait et je l’ai enfin aimé pour sa consistance. »

Puis, il y a les bonnes décisions : « Nous sommes partis tous les trois aux Etats-Unis, car Michel avait toujours souhaité que les enfants parlent anglais. C’était la découverte d’un nouveau monde qui fait désormais partie du mien. L’anonymat et le sentiment d’évasion, cela fait parfois du bien. »

Depuis que Pauline n’est plus là, France se partage d’ailleurs entre trois pays dont elle confesse avoir besoin. La France, évidemment, parce qu’il y a son fils, parce qu’il y a sa mère, dont elle vient de fêter les 80 ans en l’installant avec elle, pour une nuit, dans un palace. New York, ensuite, dont elle dit que les récents attentats lui ont « brisé le cœur ». Dakar, enfin, où elle s’est constitué un cercle d’amis véritables si étrangers aux mille et une trahisons qu’elle a subies ces dernières années. « Dakar, mais surtout mon petit îlot loin de tout et des fausses valeurs. C’est un endroit qui m’a littéralement saisie. Je n’ai pas envie d’expliquer pourquoi pendant des heures, mais je peux tout de même vous répondre : parce que c’est ailleurs, parce que c’est simple ! »

Magazine : Ciné Télé Revue
Par Alain Houstraete-Morel
Date : du 6 au 12 octobre 2001
Numéro : 140

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